Elle s'offre à la nuit, ses seins lourds tombant sur son corps. Elle est grande et admirablement bien (re)faite. Elle est belle. Outrageusement belle. Elle pense à ce qu'elle va faire ce soir, et l'alcool qui enivre ses sens lui murmure des réponses plus indécentes les unes que les autres. Mais elle sait que c'est une évidence, qu'elle n'y peut rien. Chaque nuit, elle retourne à ses démons, à son enfer, à lui. C'est un délice de souffrir de la sorte. Son médecin qualifie cela d'addiction, lui dit de se faire soigner. Mais elle n'y arrive pas. Elle se dit que ça n'en vaut pas la peine. Elle aura beau être splendide, riche, intelligente et bien-portante, aucune vie ne l'attend en dehors de ses vices. Aucune vie. Le monde n'a rien à offrir à une dépravée.

Elle est née à Detroit, dans l'un des quartiers les plus désœuvrés. Une petite fille vouée à la mort. Des guerres de quartiers qui font rage, des fusillades quotidiennes, des dealers essayant d'enrôler des enfants dans leur business, des macs cherchant des petites poupées et autres gamines à faire tapiner sur le trottoir. Et sa mère : religieuse, priant à tout va. Hannah se souvient encore, lorsqu'elle ferme les yeux, de son visage ridé, fatigué, triste et grave. Son père est mort avant qu'elle ne naisse. Sa vie est passée si vite. Elle se revoit, enfant, adolescente, trop grosse, trop moche, moquée.

Elle n'est plus la même. Son visage n'est pas celui qu'elle est supposée avoir. Il n'est pas d'origine. Il lui arrive de se demander si, en grattant la peau suffisamment fort, elle révélerait l'enfant qu'elle est encore. Cette innocence qui est toujours nichée au fond de ses entrailles, malgré la souillure. Le harcèlement, les tortures que l'on lui a infligées, le besoin d'argent. Le monde est le même partout. Elle en a souffert, elle a du s'y adapter, se dégrader. Et maintenant que c'est fini, elle continue. Concrètement, elle a un nouveau visage, un nouveau corps, un nouveau prénom. Elle pourrait jouer à être heureuse. Se forcer. Vivre sainement. Elle n'y parvient pas, et ça la tue. C'est si étrange. Ce vice, qui lui fait si mal, et tant de bien à la fois. Le besoin irrépressible de se faire traiter comme une chienne. Elle s'est un temps dit que c'était sans doute une manière d'essayer de se punir, de se flageller. Mais non. Elle sait que c'est inné. C'est dans sa nature. Certaines personnes naissent mal, sont mauvais. Elle est pourrie par le vice. Il n'y a pas d'échappatoire et elle le sait.

Le soleil se couche et sa lumière rouge vient éclairer le visage sculptural de l'enfant. Nue, recroquevillée au milieu des draps de satin. C'est une suite. Luxueuse. Effroyablement chère. Les chiffres sont entrés la veille. Son livre s'arrache, parti pour être un des best-sellers de l'année. Les propositions de traduction se multiplient, son agent est noyé par les invitations enthousiastes des talk-shows populaires. Ça lui semble tellement con. Elle renifle doucement, et sa tête menace d'éclater. Elle est saoule à en crever. Elle pense à sa mère, sa pauvre mère. Elle n'était pas si mauvaise que cela. Et elle l'a abandonnée. Elle abandonne tout le monde, c'est une habitude chez elle. Elle ne se lie pas aux autres. Elle est différente, il y a comme un fossé entre elle et le reste du monde. On la dit froide, cynique, cruelle, désabusée aussi. Les autres ne l'intéressent pas. Il n'y a que Lui. Elle rie doucement à cette pensée.

Il soupire de manière saccadée et elle gémit doucement, dansant sur son corps, sur ses genoux. Il est assis sur la cuvette, sale, de ces toilettes publics crasseux. Elle ne porte rien, et lui a seulement baissé son jean. Il la baise intensément, à la faire hurler, et la gifle, l'insulte. La tête lui tourne. Ils baisent en exhibitionnistes, il la maltraite, elle pourrait mourir tant elle se sent bien. A la maison. C'est ce qu'elle est vouée à faire, ce qui l'attend. En ces instants seulement elle se sent heureuse, en sécurité. C'est complètement tordu. Elle en a honte, mais le sexe qui la pénètre est si gros, et lui est si adroit qu'elle n'y pense plus. Elle s'oublie dans l'amour brutal avec expertise, car elle est habituée au manège. Il continue de la prendre avec force, lui arrachant quelques cris de douleur, puis se retire, saisit sa chevelure, l'attire contre son sexe qu'il branle ardemment. Elle sent le foutre s'écraser sur son visage. Le liquide chaud qui coule jusqu'à ses lèvres, jusqu'à ses seins. Et elle ne peut s'empêcher de sourire. A celui qui l'a façonnée, reconstruite. Son Dieu-Créateur.

Bambin de la classique famille bourgeoise anglaise, assez aisée pour vivre Londres. Elle percute vite Mia qu’on lui demandera de filer droit. Un destin tout tracé qui l’amène à vomir ses états d’âmes et se faire entendre des géniteurs. Elle s’ennuie sur les bancs de l’école, elle apprend trop vite, elle sait déjà. Intelligence ou curiosité, sa caboche est bien remplie. Elle est du genre rêveuse, aussi je m’enfoustiste qu’avide de goûter au risque. Coincée dans un corps trop frêle pour elle, dans un monde pas suffisamment infini pour ses aspirations.

Mia c'est une dichotomie de mondes s'entrechoquant, souvent. Brutalement. Il y a cette bourgeoisie criarde qui l'a façonnée et modelée depuis ses premiers gémissements, pour miroiter l'élégance, la grâce à l'anglaise. Celle qui l'a couvée du besoin, prônant le culte du caprice assouvi dans la journée, tout au plus. Puis, il y a eu cette passion fleurissant au plus profond de ses entrailles ; un univers brut et enflammé qui s'est insidieusement introduit dans son être, réveillant son âme jusqu'alors égarée parmi les fêtes mondaines.

C'est à l'aube de ses quinze années, qu'elle débute la musique. Après que ses pas l'aient menée chez ce disquaire, à la rencontre des grands noms du rock. Les Rolling Stones ou encore Led Zeppelin ont rythmé ses tâtonnements vers la maîtrise de la gratte et du chant. Un univers bestial dans lequel elle se retrouve. Une frénésie qui la rend vivante, enfin. Elle rencontre du beau monde dans ce milieu. Elle intègre un groupe, vit la nuit. Ils jouent, s’entraînent dans une valse nullement conventionnée sans se poser de question sur l’atterrissage. Et même lorsque ça suinte l'humidité, l'alcool et le sale ; seules les notes chatouillant ses tympans lui importent. Il y a ce quelque chose de prenant qui lui remue les intestins

Le père Hopkins, ça ne lui plait pas que sa fille se dévergonde et traine dans les bas fonds de Londres. Un paternel idolâtré qui se complait dans une opulence ostentatoire mais un paternel dont elle ne veut suivre les pas. Grand galeriste anglais, il ne peut se permettre que sa chair et son sang ne ruine sa réputation. Elle a fait des études de stylisme parce qu'il souhaitait qu'elle ait un diplôme et que la mode l'intéresse au fond mais la débauche est trop prégnante pour que Monsieur Hopkins ne permette à Mia de glisser encore plus. Ils déménagent définitivement en Californie.

Pas tant dépaysée la Mia par les Etats-Unis. Son père faisant également business par ici, la famille a passé de nombreuses vacances dans le coin. L'anglaise fume, fume, fume. Les mégots s'accumulant dans son sillage trahissent une addiction prononcée à la nicotine et surtout à la sainte herbe. Addictions ayant pris racine dans cet univers musical. Elle a des relations à Cleyn, des mauvaises relations, des fournisseurs.

Elle plane Mia. Pour oublier. Le vice, l'alcool, l'ecsta, la coke et autres substances illicites souillent l'image de perfection que les géniteurs lui ont insufflée. Elle abuse et en redemande. Partout des meurtrissures, ces aiguilles qui lacèrent sa peau jour après jour. Complètement perdue à travers tous ces vents contraires qui balaient son monde dans un sens puis l'autre sans lui laisser le temps de sortir la tête de l'eau.

Des éclats de voix, des insultes et un ultimatum : "Cure de désintox ou je te coupe les vivres" furent les derniers mots de son père. Avant qu'elle ne tourne les talons et ne claque la porte.

Elle flâne dans les quartiers mal famés, donne son cul pour une simple dose, se déleste de toute dignité. Elle atteint le fond Mia. L'agonie comme seule issue. La paranoïa embrume son esprit et le besoin viscéral de ressentir la drogue dans ses veines prend le contrôle de sa carcasse. Elle est bien trop shootée pour entendre son téléphone sonner, pour apprendre la mort de son père. Bien trop défoncée pour se rendre à ses funérailles. Elle perd pied lorsqu'elle apprend la nouvelle. Dans ces brefs moments de lucidité, les remords la rongent alors elle prend un rail de coke ou tout ce qu'elle peut se procurer.

Un jour, il apparait. Il n'a certainement pas l'air d'un vulgaire dealer du coin. Un flic ? Non. Un de ceux qui tirent les ficelles du business ? Peu probable. Il l'emmène et Mia se démène autant qu'elle peut, avec violence. Il l'éloigne de la seule chose qui la maintient en vie. Et pourquoi ? Elle n'en sait foutrement rien. S'en suit une cure de désintox où la Hopkins ne mène pas la vie facile au personnel. Si bien qu'Alec finit par l'accueillir chez lui. Elle est encore plus infecte à son contact, en tout cas lorsqu'elle ne tente pas de le séduire pour se tirer de cette prison. En vain. La douleur pure irradie dans tous ses membres, sans cesse. Elle vit l'enfer, s'apparente à un macchabée. La pire version d'elle-même, en manque, à dégueuler ses tripes.

Il a fallu le temps mais elle s'est débarrassée de ses addictions. Pour le moment. Enfin il l'a sauvée. Elle en est consciente et reconnaissante. Mia n'aime pas qu'on lui dicte sa conduite. Indocile et fière, elle revendique haut et fort son indépendance et sa liberté. Volage, insaisissable, elle migre au gré du vent et des occasions. Et pourtant, cette renaissance qu'Alec lui a offerte, elle ne souhaite pas la ruiner. Il lui a trouvé un job qui lui plait et elle veut le rendre fier, comme elle aurait dû le faire avec son père. Voilà qu'elle visualisait Alec comme figure paternelle... mais putain ce qu'elle désire qu'il la prenne. Fort.

Les regards se posent sur elle — depuis son adolescence. Une jeune blonde, au caractère déjà bien tranché, ayant à vivre cependant l’instabilité d'une mère bipolaire. De son père, elle ne retient surtout que son parfum, puis ses lettres ; l'aventurier qu'il était ne pouvant se compter d'une vie bien rangée à New-York. Alors, bien d'autres hommes entrèrent dans sa vie, partageant durant quelques semaines, parfois quelques mois, le lit de sa mère. Cette situation s'avérait parfois oppressante mais rien ne transparaissait dans son attitude, dans ses notes. La rigueur, elle se l'appliquait à elle-même, ne cherchant pas la perfection mais ne souhaitant pas attirer l'attention d'une quelconque manière. Proche de l'indépendance, ayant presque l'âge, elle eut à accueillir deux nouvelles personnes sous son toit : un homme au regard assez perturbant et la fille qu'il avait eu avec une autre femme, ayant deux ans de moi que Evelyn. Très vite, elle comprit : lorsque l'homme, une bière à la main, lui passa un bras autour de la taille de la cuisine.

Jusqu'à présent, les relations de la Zimmer avec la gente masculine étaient assez peu complexes. Si un mâle lui plaisait, elle parvenait à se faire comprendre. Laissant même l'un d'eux s'introduire assez près de son corps et, accessoirement, de ses sous-vêtements. Mais cet homme qui respirait à son cou ses arômes avait le double, presque le triple de son âge. Elle parvint à renverser la bière sur lui et n'écopa même pas d'un revers de gifle car sa mère entra dans la cuisine, insultant malgré tout la blonde pour sa maladresse. Evelyn se coucha sans pouvoir ôter la sensation écœurante de l'érection de son beau-père contre ses fesses. Froidement, elle mit en place un plan. Parvenant à déjouer les tentatives de rapprochement de cet étranger dans sa maison durant les quelques semaines qu'il lui fallut pour obtenir ce dont elle avait besoin. Elle modifia cependant ses projets après une conversation avec sa demi-sœur, lui avouant certains actes qu'elle avait déjà eu à vivre. Moins d'un mois plus tard, le dernier prétendant de sa mère était mort : on l'avait retrouvé dans une ruelle, trois balles dans le dos. La piste remonta jusqu'à un dealer qui fut inculpé, et pas plus loin. Evelyn était la seule à connaître les tenants et aboutissants et n'en partageant jamais les détails avec qui que ce soit. Mais sa demi-sœur l'avait compris, et la serra chaudement dans ses bras lorsqu'elle fit ses valises pour aller étudier à Miami.

Quelque chose cependant, dans tout ça, s'était cassé en la Zimmer. Lorsqu'un homme la regardait, elle avait dû mal à baisser sa garde, à ne pas éprouver une vague de méfiance. Mais lorsqu'elle comprit qu'elle ne pourrait pas vivre à Miami tant le prix y était élevé, Evelyn décida de mettre sa beauté au service de ses intérêts. Ses débuts en tant qu'escort-girl furent délicats mais elle combla très vite ses lacunes et développa un talent certain pour la comédie, devenant une actrice incroyable. Le plaisir de jouer avec les hommes, de leur faire miroiter une nuit de plaisir pour les laisser finalement avec leurs érections ne manquait pas la satisfaire. Dans tout cela, ses études sautèrent ; elle gagnait assez d'argent déjà pour ne plus avoir à se soucier de tout cela. Son sphère d'influence ne cessa de croître, côtoyant les hommes les plus importants de Miami puis de Cleyn (lorsqu'elle a décidé de déménager après un incident). Paradant à leurs bras comme la délicieuse blonde de service. Son goût du luxe l'emportait assez facilement pour qu'elle apprécie cette existence sans cependant sombrer ni dans la drogue ni dans la prostitution facile. Car, à la fin de chacun de ses services, elle est la reine. Un homme a cru bon d'essayer de la forcer et il peut encore sentir des courants électriques lorsqu'il pisse depuis qu'elle lui a tazzé ses parties intimes.

Par soucis de sobriété, Evelyn évolue au sein d'une agence d'escorts, n'ayant jamais eu envie de devenir indépendante tant les risques se multiplient de la sorte. Elle connait beaucoup de demoiselles dans le milieu et ne s'est pas fait beaucoup d'alliées. En réalité, elle hait la plupart de ces jeunes femmes, souvent trop vénales, trop superficielles. Evelyn considère que vendre son temps est une chose, vendre son cul une autre. Elle peut jouer son rôle avec une prestance et une aisance déconcertante mais dès lors que l'argent est empoché, la Zimmer reprend les rênes et plus d'un homme est surpris par sa métamorphose ; la naïve, parfois sotte, de temps à autre bimbo qu'elle peut incarner devient une femme froide, au ton très posé et à l'intelligence aiguisée. Au courant aussi bien de la politique que des affaires financières en passant par les derniers résultats sportifs La plupart de ces sujets-là ne l'intéressent pas mais le savoir est une forme de pouvoir.

Lorsqu'elle a eu vent du Gentlemen's Club, elle a d'abord pris tout cela pour une chimère, ou un repère de pervers : des hommes riches qui se réunissent dans des lieux chics, qui discutent, jouent et fument. Les contrats, pourtant, étaient lucratifs, conçus spécifiquement à chaque fois pour une seule soirée et avec tant de précautions qu'elle ne pouvait qu'oser au moins assister une fois à la réunion de cette clientèle haut de gamme. Elle n'a pas été déçu. En plus d'être traitée avec respect, de s'amuser et de s'engager dans des discussions passionnantes, pas un seul mâle n'a eu l'impolitesse de la toucher comme un morceau de viande : pourtant, elle aurait bien voulu que Fawkes ne soit pas si respectueux. Conviée à jouer au poker en étant à côté de lui, elle a pu en apprendre plus sur le Gentlemen's Club : les codes, les règles. C'est presque une secte mais d'hommes qui privilégient la légalité, le consentement et le "simple" côté érotique d'une compagnie féminine sans qu'il y ait coït. Elle, elle ne s'est pas privée de toucher le photographe et ce fut une expérience extrêmement amusante que de le voir contraint par le contrat d'Evelyn à ne pas faire de même. Avant que la soirée se termine, la blonde savait déjà qu'il y aurait récidive, désireuse de voir encore l'éclat de désir dans les yeux d'Alec Fawkes : et de laisser une ligne courir dans le prochain contrat pour qu'il puisse faire d'elle ce qu'il veut.